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L’origine romaine du calendrier grégorien

Le calendrier est un outil indispensable pour chacune des civilisations de ce monde. Bien que de nos jours, celui-ci nous sert principalement pour des motifs socioéconomiques, le calendrier des anciennes civilisations avait pour but d’être liturgique, c’est-à-dire qu’on l’utilisait pour situer les multiples fêtes religieuses qui se plaçaient selon les saisons, les cycles lunaires, etc.…

Le calendrier est un outil indispensable pour chacune des civilisations de ce monde. Bien que de nos jours, celui-ci nous sert principalement pour des motifs socioéconomiques, le calendrier des anciennes civilisations avait pour but d’être liturgique, c’est-à-dire qu’on l’utilisait pour situer les multiples fêtes religieuses qui se plaçaient selon les saisons, les cycles lunaires, etc.

Dans le monde, il existe évidemment différents calendriers hérités de cultures différentes. En Occident, nous utilisons le calendrier grégorien. Celui-ci est une réforme, mise en place par le Pape Grégoire XIII au XVIe siècle, de l’ancien calendrier julien hérité directement de la Rome antique. Dès l’apparition du Christianisme à Rome, les fêtes de cette nouvelle religion se sont donc placées dans le calendrier qu’utilisaient les païens.
Dans le texte qui suit, un regard sera porté sur l’origine du nom des mois, ainsi que la conception que les Romains se faisaient par rapport à la création de leur calendrier. Bien que le calendrier romain ait subit plusieurs réformes durant l’antiquité, le but de cet article n’est pas de tomber dans les complexités du nombre de jours, de semaines, etc., que celui-ci comporte.

En lien avec l’origine des noms et des fêtes, l’auteur latin Ovide nous sera d’une aide particulière, grâce à son œuvre intitulée Les Fastes, un poème du début du Ier siècle, qui décrit l’origine de chaque mois ainsi que les fêtes qui y sont célébrées. Malheureusement, le poème est aujourd’hui incomplet; seuls les vers concernant les six premiers mois ont traversé l’épreuve du temps.

Le nom même de calendrier provient de Calendae, le premier jour de chaque mois chez les Romains[^1]. Ces derniers nommaient toutefois le terme de Fasti pour définir leur calendrier[^2], ce qui explique également le nom de l’œuvre d’Ovide.

Au niveau historique, nous savons que les Étrusques, qui ont eux-mêmes dominé et développé Rome durant la période archaïque de l’histoire cette ville, possédaient un calendrier qui a probablement influencé grandement celui des Romains. Ces derniers possédaient un calendrier liturgique qui était fixé par les Libri rituales[^3]. Les Étrusques honoraient des textes sacrés (Libri), qui selon-eux, auraient été rédigé en se basant sur le savoir de différents prophètes d’origines surnaturelles et qui se seraient manifestés en Étrurie, comme le génie Tagès ou la nymphe Vegoia [^4]. Malgré le très petit nombre de textes étrusques qui a survécu jusqu’à notre époque, nous possédons deux exemples de ces calendriers liturgiques.

Le premier provient de la Tabula Capuana, datant du Ve siècle av. J.-C. Son nom provient de son lieu de découverte, Santa Maria di Capua Vetere, site de l’antique Capoue, qui fit parti de l’expansion étrusque en Campanie du IXe au VIe s. av. J.-C.[^5]. Selon certains experts, il s’agirait d’un calendrier de cérémonies funéraires, étant donné que le nom de plusieurs divinités chtoniennes s’y retrouvent, comme par exemple Lethe (Pluton ou Hadès)[^6] .

Tabula Capuana

Tabula Capuana

Un deuxième calendrier liturgique étrusque a survécu au passage du temps de manière très fortuite. Il s’agit du Liber Linteus (livre de lin), qui est le plus long texte étrusque découvert à nos jours. L’origine du nom s’explique par le fait que le texte fut retrouvé sur des bandelettes de lin qui servirent à la momification d’une femme égyptienne. La momie est aujourd’hui installée au musée national de Zagreb, en Croatie. Selon M. Pittau, le texte serait une transcription du Ier s. av. J.-C. d’un texte écrit au Ve s. av. J.-C. dans la région centre-nord de l’Étrurie[^7]. Bien que des Étrusques aient pu choisir de s’établir en Égypte et d’y apporter une copie de leur calendrier liturgique, on ignore le motif pour lequel une femme égyptienne fut embaumée avec celui-ci. Ce texte comporte donc plusieurs rituels à suivre selon les mois et les fêtes de l’année liturgique[^8]. Nous pouvons ainsi connaître le nom des mois étrusques : Aniax (janvier), Marti (mars), Apire (avril), Ampiles (mai), Acala (juin), Traneus (juillet), Ermius (août), Caelius (septembre), Xosfer (octobre), Śnuiuɸ (novembre), Masn (décembre)[^9]. Le nom du mois équivalent à février n’est pas encore connu[^10].

Liber Linteus

Les bandelettes du Liber Linteus révèlent un texte étrusque une fois retirées de la momie.

Cette fonction de rôle liturgique du calendrier sera évidemment continuée par les Romains, qui partageront également certains noms de mois ainsi que certaines fêtes et rituels avec les Étrusques. Rome fut elle-même fondée selon le rite traditionnel étrusque rapporté par les Libri rituales.

Les explications concernant l’origine du calendrier romain proviennent toujours de l’auteur latin Ovide. Le fondateur légendaire de Rome, Romulus, aurait décidé de diviser le calendrier en dix mois, ce qu’Ovide croit être en lien avec le temps approximatif d’une grossesse. Il écrit :

« Quand le fondateur de la Cité répartit les temps du calendrier, il établit que son année compterait deux fois cinq mois. Évidemment, Romulus, tu connaissais mieux les armes que les astres et ton souci majeur était de vaincre tes voisins. Il existe toutefois, César, une raison qui a pu l’y inciter et il a de quoi soutenir son erreur. Le temps qui suffit à l’enfant pour sortir du ventre de sa mère lui parut suffisant pour constituer une année »[^11].

L’année commençait donc en mars et se terminait en décembre[^12]. C’est ce que l’on appelle le calendrier romuléen, Romulus étant son créateur selon la tradition.

Le calendrier passa rapidement à douze mois, toujours selon la tradition, ce fut le successeur de Romulus, le roi Numa, reconnu pour sa grande piété, qui décida d’ajouter les mois de janvier et de février au haut de la liste. C’est ajout, selon Ovide, s’expliquerait par la volonté du deuxième roi légendaire de Rome d’honorer le dieu Janus ainsi que les ancêtres disparus. Il rédigea :

« Quant à Numa, il ne négligea ni Janus ni les ombres des ancêtres, et il plaça deux mois à la tête de la liste »[^13].

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Numa Pompilius

Le calendrier romain, dès la période archaïque, aurait alors comporté douze mois. Cependant, même durant l’antiquité, les Romains créeront des réformes autour de ce dernier afin de le rendre plus conforme à leur situation sociale, politique et liturgique.

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Fragments du calendrier romain retrouvé à Antium (Latium, aujourd’hui Anzio). Il fut nommé Fasti Antiates maiores par les archéologues se daterait entre 67 et 55 av. J.-C.

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Reproduction du calendrier d’Antium à au musée de Caesaraugusta (Saragosse) en Espagne.

La réforme la plus significative de l’antiquité par rapport à ce calendrier survient à l’époque de Jules César. La réforme julienne apporta la fixation des mois de 31 et 30 jours, à l’exception de février, qui conserva ses 28 jours[^14].

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Fragments du calendrier de Praeneste (Latium, actuelle Palestrina). Il fut nommé Fasti Praenestini et se trouve aujourd’hui au Palazzo Massimo alle Terme à Rome. Il daterait du milieu du Ier siècle de notre ère.

Par rapport au jours de la semaine, l’explication est simple. Si nous comparons le français, l’italien ainsi que le latin, nous comprenons vite la transformation qui s’est effectuée avec le temps, dû à l’évolution du latin vulgaire selon les régions de l’ancien Empire. Avec l’évolution de nouvelles religions, les jours du Samedi et du Dimanche couperont avec la tradition païenne. Le Samedi provient du Sabbat, chez les Juifs, puis le Dimanche, de dies Dominicus, le jour du Seigneur chez les Chrétiens. Il est possible de remarquer qu’en anglais, le changement ne s’est pas effectué, Samedi demeure Saturday, Dimanche Sunday.

Tableau jours

[^15]

Dans la partie qui suit, un regard sera porté sur l’origine du nom des mois ainsi que les fêtes importantes qui s’y retrouvaient.

 

  • Ianuarius (janvier)

Comme mentionné plus haut, janvier aurait été ajouté par Numa pour honorer Janus, l’un des dieux les plus importants pour les Romains. Janus est un dieu qui est d’origine italique, c’est-à-dire qu’il ne possède pas d’équivalent dans la religion grecque[^16]. L’auteur Macrobe rapporte que Janus est également appelé deus deorum (le dieu des dieux), ce qui prouve son rôle prépondérant dans la religion romaine[^17]. Dans son poème, Ovide entretient une discussion avec le dieu. Janus se présente donc ainsi :

« Tout ce que tu vois à l’entour, ciel, mer, nuages, terre, tout est fermé et ouvert par ma main. C’est à moi seul qu’est confiée la garde du vaste monde et le droit de faire tourner son axe n’appartient qu’à moi »[^18].

Janus est le dieu des transitions, des passages, qu’ils soient temporels ou physiques. Il est représenté avec deux visages, l’un qui regarde vers l’avant et l’autre vers l’arrière. À Rome, on ouvrait les portes de son temple en temps de guerre pour que le dieu assiste les troupes romaines, puis on les fermait en temps de paix[^19]. Janus préside à tout commencement et à toute fermeture; Numa plaça donc son mois en début d’année, afin qu’il puisse regarder à la fois l’année qui commence et celle qui vient de s’écouler[^20]. De plus, le mois de janvier est voisin au solstice d’hiver, le nouveau soleil apporte donc une nouvelle année. Ovide écrit :

« Le solstice d’hiver est le premier jour du soleil nouveau et le dernier de l’ancien… »[^21] .

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Janus représenté avec ses deux visages, on appelle alors ces sculptures Janus bifront.

 

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Cette pièce de monnaie montre le temple de Janus. Les portes du temple sont fermées, la pièce représente donc la paix. Auguste utilisa notamment cette image suite à la Pax Romana (grande paix à l’intérieur de l’Empire qui dura plusieurs siècles) afin de faire la propagande de son régime.

 

  –Calendes (1er) :

Ainsi, à l’époque de l’écriture des Fastes, la nouvelle année se célébrait aux calendes de janvier, comme l’écrit Ovide :

« Voici Germanicus, que Janus apparaît pour te souhaiter une année bénéfique : dans mon poème il occupe le premier rang. Janus aux deux visages, toi, qui débute l’année qui glisse en silence, toi, qui seul parmi les dieux célestes, peux voir ton dos, sois propices à nos princes… »[^22] .

 

  • Februarius (février)

Ce fut le deuxième mois ajouté par le roi Numa Pompilius, l’auteur des Fastes nous précise l’origine du nom :

« Nos ancêtres romains ont appelé februa les moyens purificatoires »[^23].

Le mois de février est donc celui des purifications, Ovide explique que les anciens croyaient que les germes du mal pouvaient être supprimés par des gestes rituels[^24]. Lors de ce mois, deux fêtes importantes avaient lieu afin d’accomplir ces purifications.

Lupercalia (15)

Cette fête demeure toujours mystérieuse pour les experts, comme par exemple, l’origine de son nom. Celui-ci pourrait venir de Luperca, une ancienne déesse italique[^25], qui selon l’auteur latin Varron, s’identifierait à la louve qui aurait sauvé Romulus et Rémus dans la tradition romaine[^26]. L’origine la plus populaire serait celle où le nom provient de la divinité italique Lupercus, un dieu dont le rôle était de protéger les troupeaux des loups, identifié également au dieu grec Pan Lycéen (du mont Lycée en Grèce) et par la suite à Faunus (équivalent romain de Pan)[^27]. La célébration principale aurait eu lieu dans la grotte du mont Palatin, à Rome, sous le figuier ruminal, où la louve aurait légendairement sauvé les jumeaux; les prêtres faisaient alors le sacrifice d’un chien et d’un bouc, puis avec la peau de ce dernier, se confectionnaient des vêtements et des fouets afin de parcourir la ville et de purifier, en les fouettant, les civiles et plus particulièrement les femmes stériles afin de les guérir[^28]. Cette première fête entre donc dans le contexte purificatoire qu’apporte le mois de février pour les Romains.

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La fameuse statue de la Louve du Capitole. Bien que les enfants furent ajoutés à la Renaissance, la louve en bronze daterait du Ve s. av. J.-C. et aurait possiblement été coulée par un artisan étrusque de Volsinii (actuelle Orvieto, Ombrie). Elle siège aujourd’hui au Musei Capitolini de Rome.

Feralia (21)

Toujours avec la volonté de purifier, cette fête honore l’âme des Anciens, comme l’explique Ovide :

« C’est aussi le moment d’honorer les tombeaux, d’apaiser les âmes des ancêtres et de porter de menues offrandes sur le tertre des sépultures. Les Mânes demandent peu de chose : la piété leur est plus agréable qu’une riche offrande; il n’y a pas de dieux avides dans les profondeurs du Styx »[^29].

Les Mânes (Manes) désignaient l’âme des morts, ils étaient considérés comme des divinités et possédaient un culte[^30]. Ovide rapporte que l’on pouvait les apaiser en leur offrant un vase en terre cuite contenant des couronnes, des grains, des violettes, du pain trempé dans le vin ainsi qu’une pincée de sel[^31]. Il s’agit donc d’une fête très importante pour les Romains, les Anciens étaient d’une grande importance, chaque bonne famille romaine vénérait ses ancêtres.

 

 

  • Martius (mars)

Il s’agit du mois du calendrier romain le plus important au niveau symbolique. Il s’agissait du premier mois du calendrier romuléen, avant que Numa ajoute janvier et février, qui au fil du temps, prirent respectivement le premier et second rang dans la liste. Cela s’explique par le fait que Romulus aurait dédié le premier mois de son calendrier à son père, le dieu Mars; Ovide écrit :

« Bientôt, à la place de ce qui n’était que forêt et refuge de troupeaux se trouvait une ville; alors le père de la Ville éternelle dit : ‘‘Maître des armées, dont on croit que je suis le fils (et je fournirai plus d’une preuve à cette croyance), je déclare que l’année romaine commence par toi : le premier mois portera le nom de mon père’’ »[^32] .

Selon la tradition, Mars avait fécondé une vestale (prêtresse de Vesta) du nom de Rhéa Silvia. Les vestales devaient obligatoirement rester vierge, lorsque Rhéa Silvia accoucha des jumeaux Romulus et Rémus, elle fut forcée de les abandonner dans un panier sur le Tibre. Ce dernier dériva jusqu’à une grotte du mont Palatin à Rome. La tradition veut que Mars envoya une louve (le loup est l’animal qui le représente) les allaiter afin que les jumeaux restent en vie jusqu’à ce que Faustulus, un berger, et Laurentia, sa femme, les découvrent couchés près de la bête. Adulte, Romulus fondera Rome à cet endroit. Mars fait également parti de la triade archaïque avec Quirinus et Jupiter. Il s’agit des trois dieux principaux de la période archaïque romaine. Il était également un dieu important chez les Étrusques, où il portait le nom de Laran, mais aussi chez tous les peuples italiques. Son équivalent grec est Arès.

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Mars

Ides (15)

Tous les mois romains possèdent des Ides, soit le 13e ou le 15e jour du mois. Les Ides de mars sont toutefois passées à la postérité pour deux raisons particulières, la première étant une fête ancienne, puis la seconde un événement politique majeur de l’histoire romaine.

Fête d’Anna Perenna (15)

Cette fête possède plusieurs origines, mais la plus populaire est locale. Selon Ovide, Anna Perenna était une vieille femme qui était originaire de Bovillae, un des faubourgs de Rome : lors de la sécession de la plèbe au Mont Sacré, les vivres commencèrent à manquer; malgré sa pauvreté, la dame fabriquait des galettes qu’elle distribuait le matin aux autres personnes peu fortunés[^33]. Cette action fit en sorte que l’on lui érigea une statue[^34], puis les Ides de mars devinrent la journée où cette femme était célébrée. Selon l’ancien calendrier, on se souhaitait la bonne année à cette journée; de plus, les Romains buvaient beaucoup puisque selon la croyance, le nombre d’années qui leur restait à vivre correspondait au nombre de verres qu’ils vidaient[^35]. Une autre version de cette fête explique qu’Anna était la divinité des années qui se répètent continuellement[^36]; Perennis en latin signifie annuel[^37]. Il s’agit donc d’une fête qui était d’une grande importance pour la société, mais l’histoire se commémore surtout d’un autre événement, tragique cette fois, qui eut lieu le 15 mars 44 av. J.-C.

Assassinat de Jules César (15)

Le matin du 15 mars 44 av. J.-C., Jules César devait se rendre à la Curie de Pompée (aujourd’hui près du Largo di Torre Argentina). Quelques jours plus tôt un haruspice étrusque (prêtre, devin qui pratique l’art divinatoire) du nom de Spurinna avait averti César en lui disant de prendre garde à un danger qui devait arriver d’ici les Ides de mars[^38]. Lorsque le dictateur aperçu Spurinna, il se moqua de sa prédiction puisque rien de néfaste s’était produit; l’haruspice lui répondit que les Ides de mars étaient bien arrivées, mais pas encore terminées[^39]. César devait en effet faire face à son destin néfaste. En s’assoyant à la Curie, il vit les conspirateurs l’entourés; armés de poignards, ils l’assaillirent de 23 coups dont ceux de Marcus Brutus, le fils de Servilia, maîtresse de César[^40]. Cet événement bouleversa la société romaine. Bien que César, qui s’était fait dictateur à perpétuité, commençait à se comporter de plus en plus en monarque, ce qui déplaisait fortement à une partie de la population, les principaux personnages politiques importants tels Marc-Antoine et Octave se mirent à la poursuite des conspirateurs. Ovide n’oublie pas cet événement, il écrit :

« J’allais passer sous silence les glaives qui ont transpercé notre prince, quand, de son chaste foyer, Vesta me parla en ces termes : ‘‘N’hésite pas à le rappeler; César a été mon prêtre; c’est moi que des mains sacrilèges ont frappée de leurs armes. Mais sa personne, je l’avais soustraite moi-même et ne leur avais laissé qu’un simulacre sans consistance : ce n’est que l’ombre de César qui est tombée sous leur fer’’. Quant à lui, élevé au ciel, il a vu la cour de Jupiter et il possède un temple qui lui a été dédié dans le grand forum. Mais tous ceux qui eurent l’audace criminelle de braver la volonté des dieux en profanant la tête d’un pontife ont subi une mort méritée : soyez-en témoins, plaine de Philippes et vous, combattants qui, par vos ossements éparpillés, avez blanchi le sol. Voici quelle fut la tâche, le pieux devoir, la première préoccupation de César (Octave Auguste) : venger son père avec des armes légitimes »[^41].

Cet extrait nous montre donc l’admiration et la reconnaissance que la plupart les Romains avaient pour Jules César, ainsi que la volonté de diviniser le personnage. Le fils adoptif de César, Octave Auguste, puis Marc-Antoine, finiront par vaincre les conspirateurs lors de la bataille de Philippes, en Macédoine. Auguste dédiera un temple dans son forum en cet honneur, celui de Mars Ultor (Mars vengeur).

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Largo di Torre Argentina, Rome, qui est près de la curie de Pompée, où César sera assassiné.

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Temple de Mars Ultor.

Quinquatrus (19)

Cette journée était dédiée à Minerve, la déesse de la guerre intelligente, des artisans et de la sagesse. Son équivalent étrusque est Menrva, et grec, Athéna. Cette déesse était si importante à Rome qu’elle faisait partie de la triade capitoline, avec Jupiter et Junon. Elle était donc honorée dans le temple le plus important de la Rome antique, le temple de Jupiter capitolin, sur la colline du Capitole. La fête du Quinquatrus commémore particulièrement la dédicace de son temple sur la colline de l’Aventin[^42].

PalestrinaMuseoTriadeCapitolina

La Triade capitoline -Minerve-Jupiter-Junon accompagnés de leur animal symbolique: la chouette, l’aigle et l’oie.

 

 

  • Aprilis (avril)

Avril est le mois qui honore Vénus, la déesse de la beauté et de l’amour. Vénus était également l’ancêtre de Romulus, ce dernier voulu lui donner le deuxième mois de son calendrier en son honneur. Ovide écrit :

« S’il accorda le premier rang au farouche Mars, parce qu’il fut la cause directe de sa naissance, il voulut que Vénus, située à plusieurs degrés dans sa ligne parentale, prît place au deuxième mois »[^43].

Il est vrai qu’avril ne ressemble pas au nom de la déesse Vénus. Ovide mentionne que le nom du mois serait celui de la déesse en grec. Effectivement, Vénus équivaut à l’Aphrodite grecque, ainsi que la Turan étrusque. Avril viendrait donc d’Aphrodite[^44]. Toujours selon Ovide, il est logique que Vénus suive Mars dans le calendrier; dans la mythologie, elle est l’amante de ce dernier[^45].

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Vénus

 

 

  • Maius (mai)

À l’origine, le troisième mois du calendrier romuléen, mai est le mois des Anciens (Maiores)[^46] . L’auteur des Fastes écrit :

« Aussi ai-je l’impression que les anciens (maiores) ont attribué leur propre nom à mai (Maius), par considération pour leur propre âge. D’ailleurs il est possible que Numitor ait dit ‘‘Romulus, accorde ce mois aux anciens’’ et que le petit-fils n’ait pas voulu contrarier son grand-père »[^47] .

Comme mentionné précédemment, le culte des ancêtres est fondamental dans la société romaine. Il est donc logique qu’un mois leur soit dédié. Selon Ovide, une autre légende pourrait être à l’origine du nom de ce mois :

« Quant à toi, inventeur de la lyre courbe, complice des voleurs (Mercure), tu as donné le nom de ta mère (Maia) à ce mois »[^48] .

Maia est dans la mythologie grecque, une amante de Zeus (Jupiter) qui donna naissance à Hermès (Mercure) suite à cette union . Le poète latin suit donc la version grecque, toutefois, il existe une ancienne divinité italique du nom de Maia ou Maiestas qui était la protectrice des fruits en train de mûrir[^50]. Cette explication serait intéressante puisque le mois de mai est évidemment au milieu du printemps.

Lemuria (9-11-13)

Les jours des Lemuria constituent les célébrations les plus importantes de mai. Cette fête ancienne avait pour but d’éloigner les mauvais spectres terrifiants, les Lemures. Lors de la cérémonie, le père de famille, à minuit, devait se mettre des fèves noires dans la bouche, puis les cracher par-dessus son épaule pour éloigner les revenants; il doit prononcer neuf fois la formule Manes exite paterni (Sortez, Mânes de mes pères); finalement, il doit frapper des objets métalliques pour effrayer les Lemures[^51].

 

  • Iunius (juin)

Il se pourrait qu’à la suite du mois des Anciens, vient celui de la jeunesse. Le poète des Fastes écrit :

« …elle est fournie par le mois de juin, qui est ainsi appelé d’après le nom des jeunes gens (iuvenum)»[^52] .

Juin pourrait donc célébrer les jeunes gens, mais une autre explication semble tout aussi pertinente. En effet, Iunius se rapproche de Iuno (Junon), qui est l’équivalente de l’Héra grecque, ainsi que l’Uni étrusque. La déesse Junon était l’épouse de Jupiter et donc la reine du ciel. Comme mentionné plus haut, elle était célébrée avec son époux et sa belle-fille Minerve, dans la triade capitoline. L’importance de Junon chez les Romains s’explique par plusieurs mythes. Dans l’Énéide de Virgile, elle est à l’origine contre les Troyens, ancêtres légendaires des Romains, qu’elle finit par accepter à condition que ces derniers ne se servent plus du nom les reliant à Troie, et qu’ils lui vouent un culte important. Longtemps après cet événement, au IVe siècle av. J.-C., les Gaulois assiégèrent Rome puis tentèrent d’envahir la colline du Capitole par une attaque nocturne, la déesse envoya ses oies crier afin de réveiller les Romains pour qu’ils repoussent l’offensive. Cet épisode est racontée notamment par Tite-Live. Dans les Fastes d’Ovide, c’est Junon elle-même qui explique son lien avec le mois:

« (Junon) : … pour que tu ne l’ignores pas et ne te laisses pas entraîner par l’erreur du vulgaire, sache que juin tient son nom de notre nom »[^53] .

Lorsque la déesse mentionne « notre nom », c’est probablement en référence à elle et son frère et époux, Jupiter. En effet, les noms latins de ces deux dieux sont semblables (Iuno et Iovis). De plus, le calendrier ne présente pas d’autre mois portant le nom de Jupiter, qui demeure le dieu le plus puissant dans la mythologie. Ovide semble donc combler ce manque en prétendant que Iunius est un mois à l’honneur du plus important couple céleste.

Vestalia (9)

Cette fête célèbre Vesta, la déesse protectrice de la cité et de l’État, en plus de la vie domestique[^54]. Dans son temple, au centre du Forum, il y avait un feu qui ne devait jamais s’éteindre. La déesse avait ses prêtresses, les Vestales, qui vivaient dans une maison adjacente au temple et qui devaient veiller sur le feu sacré. Il était interdit aux hommes d’entrer dans le temple de Vesta[^55].

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Temple de Vesta dans le Forum.

Matralia (11)

Il s’agit d’une fête qui célèbre les mères, les matrones des familles. De plus, il y a célébration d’une vieille divinité italique, d’origine osque (peuple italique), Mater Matuta, qui était la déesse du matin et de l’aurore [^56]. Elle est également la protectrice du premier mariage et de la maternité; Servius Tullius, sixième roi légendaire de Rome, lui fit construire un temple sur le Forum Boarium [^57].

 

 

  • Quintilis / Iulius (juillet)

À partir de ce mois, nous n’avons plus de textes de la part d’Ovide, son œuvre est parvenue à notre époque malheureusement incomplète. Juillet porte à l’origine le nom de Quintilis, qui signifie tout simplement le cinquième mois (du calendrier romuléen). C’est cependant Marc-Antoine en 44 av. J.-C. qui proposa de nommer le mois en l’honneur de Jules César[^58]. Juillet pris donc le nom de famille de César, Iulius. Cette vieille famille romaine prétendait être descendante d’Iule, le fils d’Énée, et donc de la déesse Vénus. Cela explique pourquoi César ordonna la construction d’un temple en l’honneur de Venus Genetrix (Vénus qui fonde une famille) sur son forum.

Neptunalia (23)

Il s’agit de la fête de Neptune, qui est à l’origine un dieu de l’eau douce et de l’humidité[^59]. Son équivalent étrusque est Nethuns. Suite à l’augmentation de la puissance navale des Romains, le dieu s’assimile au Poséidon grec, dieu de la mer en général[^60].

 

 

  • Sextilis / Augustus (août)

Dans la même logique que Quintilis, Sextilis était le sixième mois de l’année romuléenne. En 8 av. J.-C., le mois devint Augustus en l’honneur d’Octave Auguste[^61], qui sortit vainqueur des guerres civiles qui ont suivi l’assassinat de César. Le sénat fit d’Auguste le premier empereur romain; ce dernier sera également divinisé.

Diane Aventine (13)

Diane, déesse d’origine latine, équivalente de l’étrusque Aritimi, puis plus tard de l’Artémis grecque, est à l’origine une divinité lunaire ainsi que de l’espace céleste[^62]. Lors de sa fête, son culte sur la colline de l’Aventin est célébré, les femmes se lavent la tête et se peignent en son honneur[^63]. Diane sera également connue comme la déesse de la nature sauvage ainsi que de la chasse, comme l’est Artémis chez les Grecs.

 

 

  • September (septembre)

Le nom provient tout simplement du fait qu’il s’agissait du septième (septem)[^64] mois du calendrier romuléen, avant l’ajout de janvier et de février.

 

 

  • October (octobre)

Tout comme septembre et les prochains mois, son nom provient tout simplement du fait qu’il s’agissait du huitième (octo)[^65] mois de l’ancien calendrier.

 

 

  • November (novembre)

Dans la même suite, novembre vient du fait que c’était le neuvième (novem)[^66] mois de l’ancien calendrier.

 

 

  • December (décembre)

Le dernier mois du calendrier était à l’origine le dixième (decem)[^67], ce qui explique le nom.

Saturnalia (15)

Il s’agit de la fête de Saturne, divinité italique d’origine étrusque, qui montra au peuple les techniques agricoles; lors de sa fête les classes sociales étaient équivalentes, les maîtres étaient donc égaux aux esclaves [^68].

Dies Natalis Invicti Solis (jour de renaissance du Soleil Invaincu) (25)

Cette fête est en lien avec le solstice d’hiver. Durant cette période de l’année, la lumière du jour recommence à s’allonger, ce qui explique la métaphore avec la « renaissance du soleil ». Cette idée fut conservée avec l’avènement du Christianisme, on plaça la naissance du Christ le jour où la lumière gagnait définitivement sur l’obscurité.

 

 

En conclusion, le calendrier grégorien est donc le calendrier romain de l’époque de Jules César, avec certaines modifications apportées lors de la réforme grégorienne, à la Renaissance. Les fêtes chrétiennes ont remplacé les anciennes fêtes païennes, mais le nom des mois et des jours sont restés les mêmes, un héritage de nos ancêtres romains et de la domination de ces derniers sur l’occident antique.

 

Xavier B. Morency
Historien

 

 

  • Bibliographie :
    Sources:
    I. Ovide. Les Fastes.
    II. Suétone. Vie des douze Césars.
    Travaux :
    I. Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010.
    II. Camporeale, G. Gli Etruschi. UTET Università. 4e édition. Turin. 2015.
    III. Collectif. Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013.
    IV. Pittau, M. I grandi testi della lingua etrusca : Tradotti e commentati. Carlo Delfino Editore. Sassari. 2011.
    V. Schilling, R. Les Fastes. Les Belles Lettres. Paris. 2011.
    VI. Wiseman, T. P. Unwritten Rome. University of Exeter Press. Exeter. 2008.

 

 

[^1]Collectif. Calendae dans Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 119.

[^2]Idem. P. 296.

[^3]Camporeale, G. Gli Etruschi. UTET Università. 4e édition. Turin. 2015. p. 161.

[^4]Idem. P. 235.

[^5]Idem. P. 80.

[^6]Pittau, M. I grandi testi della lingua etrusca : Tradotti e commentati. Carlo Delfino Editore. Sassari. 2011. P. 87.

[^7]Idem. P. 23.

[^8]Idem.

[^9]Idem. P. 24.

[^10]Idem. P. 23.

[^11]Ovide. Les Fastes. I, 29-35.

[^12]Schilling, R. Notes sur les Fastes d’Ovide. Les Belles Lettres. Paris. 2011. I, note 8.

[^13]Ovide. Les Fastes. I, 43-44.

[^14]Schilling, R. Les Fastes. Les Belles Lettres. Paris. 2011. Introduction, XIV.

[^15]Collectif. Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 415, 445, 458, 464, 688, 716, 816.

[^16]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 356.

[^17]Idem.

[^18]Ovide. Les Fastes. I, 118-120.

[^19]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 356.

[^20]Idem.

[^21]Ovide. Les Fastes. I, 163-164.

[^22]Idem. I, 63-67.

[^23]Idem. II, 19.

[^24]Idem. II, 35-36.

[^25]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 384.

[^26]Wiseman, T. P. Unwritten Rome. University of Exeter Press. Exeter. 2008. P. 52.

[^27]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 384.

[^28]Idem.

[^29]Ovide. Les Fastes. II, 533-536.

[^30]Collectif. Manes dans Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 455.

[^31]Ovide. Les Fastes. II, 536-541.

[^32]Idem. III, 71-76.

[^33]Ovide. Les Fastes. III, 663-672.

[^34]Idem. 674.

[^35]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 54.

[^36]Idem.

[^37]Collectif. Perennis dans Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 556.

[^38]Suétone. Vie des douze Césars. I, 81.

[^39]Idem.

[^40]Idem. 82.

[^41]Ovide. Les Fastes. III, 697-710.

[^42]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 423.

[^43]Ovide. Les Fastes. IV, 25-28.

[^44]Idem. 62-63.

[^45]Idem. 129-130.

[^46]Collectif. Maiores dans Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 453.

[^47]Ovide. Les Fastes. V, 73-76.

[^48]Idem. 103-104.

[^49]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 391.

[^50]Idem.

[^51]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 375.

[^52]Ovide. Les Fastes. V, 78.

[^53]Idem. VI, 25-26.

[^54]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 644.

[^55]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 644.

[^56]Idem. P. 402.

[^57]Idem.

[^58]Schilling, R. Les Fastes. Les Belles Lettres. Paris. 2011. Introduction, XIV.

[^59]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 443.

[^60]Idem.

[^61]Schilling, R. Les Fastes. Les Belles Lettres. Paris. 2011. Introduction, XIV.

[^62]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 192.

[^63]Idem.

[^64]Collectif. Septem dans Dictionnaire Latin. Larousse. Paris. 2013. P. 701.

[^65]Idem. Octo. 518.

[^66]Idem. Novem. 501.

[^67]Idem. Decem. 213.

[^68]Belfiore, J.-C. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Larousse. Paris. 2010. P. 576.

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